Si vous avez allègrement passé la trentaine et aspirez à un semblant de confort matériel, vous avez forcément déjà traîné des guêtres à l'idée de devoir affronter, sinon subir, une semaine de travail aussi longue que vide de sens. Une fois de plus, c'est ce bon vieux roux de Garfield qui avait raison.
Telle une condamnation à mort qui mettrait environ 172 trimestres à s'exécuter, la vie de The Guy ressemble à celle de n'importe qui, mais n'est pour autant pas franchement enviable. À l'instar du pauvre employé éponyme de The Stanley Parable, notre anti-héros de bureau va profiter d'une perturbation dans la Force de travail pour échapper à la monotonie de son open space tout sauf spatial.
I don't wanna be The Guy
Au départ développé pour les smartphones tactiles qui nous servent parfois de bouées de sauvetage (avant que n'arrive Discord), le jeu du studio israélien 11 Sheep déboule donc comme à peu près toute la production vidéoludique actuelle sur Switch, histoire de vous livrer sur un plus écran plus ou moins grand sa critique acerbe et amusée du monde du travail. Le regard fatigué et cerné par une épaisse monture, The Guy s'ennuie donc à mourir dans la tristesse monotone de son bureau. Mais alors que cette journée allait ressembler à toutes les autres, une touche de couleur va venir perturber cet équilibre fragile.
Unique touche de couleur vive au sein d'un monde terne et standardisé, la forcé mystérieuse qui va arracher notre anti-héros à son bureau relativement peu ergonomique va servir de prétexte et de fil (vraiment) rouge à ce plaidoyer des temps modernes. Énigmatique jusqu'au bout, l'OVNI minuscule que vous n'aurez de cesse de pourchasser donne à The Office Quest une petite touche fantastique qui nous rappelle sans mal l'oeuvre de Lewis Carroll, ou quand Alice se rend à la Ferme des animaux...
Morose Place
Petit problème : même affublé d'un costume ridicule inspiré par ce que l'on appelle communément des "parcs d'attractions", The Guy va n'avoir de cesse de lutter contre le système, bien décidé à le faire rester les fesses vissées sur sa chaise. Aussi critique que terre-à-terre, The Office Quest laisse de côté le bestiaire alambiqué des point'n click, pour vous opposer à une cohorte de chefaillons, directeurs atteints de réunionite aiguë et autres tire-au-flanc planqués dans les toilettes. Chaque tableau prend ainsi un malin plaisir à dépeindre des situations plus ou moins réalistes de la vie de bureau tout en récitant ses gammes avec une certaine réussite.
Que ce soit à travers les costumes ridicules qui affublent tous les protagonistes de cet univers monochrome, les moqueries adressées envers les accros aux smartphones où la dénonciation de la course au rendement, la courte aventure de 11 Sheep s'amuse à pointer du doigt avec justesse et satyre les dérives de notre temps, et ce sans la moindre ligne de dialogue. The Office Quest s'inspire avec justesse de ces jeux narratifs qui parviennent à faire passer autrement leur message, comme avait par exemple su le faire Soldats Inconnus, quitte à parfois ne pas être suffisamment clair sur ce qu'il attend de vous. Chaque écran de chargement (et qu'ils sont nombreux !) permet en échange de quelques secondes de temps perdu d'enrichir subtilement l'univers professionnel de ce drôle de monde du travail, en dépeignant des tableaux souvent humoristiques, même si leur omniprésence finit nécessairement par agacer.
"That's what she said"
D'abord timide dans la taille de ses environnements et le nombre d'items avec lesquels interagir, The Office Quest prend le temps d'étoffer ses mécaniques au travers de ses quatre chapitres aussi brefs que réussis, même si les darons du genre risquent de juger le contenu un peu chiche. Pensées pour un assez large public, les aventures de The Guy ont la bonne idée de s'adresser à tous les types de joueurs : les premières énigmes se résolvent sur un seul et même écran, mais s'étoffent petit à petit pour finalement s'avérer complexes et parfois surprenante vers la fin de l'aventure. Que vous soyez nomade occasionnel ou hardcore du canap', le jeu de 11 Sheep se laisse volontiers tripoter dans tous les sens, au stick ou au doigt, même si l'absence de curseur vous privera parfois d'interactions visuelles bienvenues.
En revanche, les mécaniques font jusqu'au bout preuve d'un classicisme timide, qui se résume la plupart du temps à ramasser des objets pour ensuite les utiliser à plus ou moins bon escient. Quelques mini-jeux viennent parfois ponctuer ces mécaniques répétitives, mais là aussi, l'originalité n'est pas franchement leur fort, et certains vous rendront peut-être même carrément fou. Heureusement, le format et le support permettent de picorer cette satyre à son propre rythme, bien que certains points de sauvegarde en plus n'auraient parfois pas été du luxe, surtout lorsque certains puzzles ne vous offrent pas le droit à l'erreur.